(XIXe-XXe siècle)
Ce livre ne concerne pas seulement l’histoire des Juifs de Grèce. Il fait aussi le pont entre cette ère des empires, dans les Balkans et en Europe centrale, où les minorités ethnico-religieuses n’avaient pas besoin, pour exister, de dénomination « nationale », et celle des nationalismes triomphants où il fallut se mouler dans les nouvelles identités soucieuses d’effacer les particularismes pour faire corps avec la nation. L’avènement des États-nations nés du morcellement de l’Empire ottoman confronte les minorités religieuses à des contextes où les définitions ethniques prévalent sur celles, religieuses, qui étaient jusqu’alors les leurs. Lorsque Salonique devient grecque, en 1912, les Sépharades locaux, issus de la péninsule Ibérique, dont l’influence sur place était incontestable, auront à composer avec l’hellénisation en marche. Alors que les crises que traverse la nation poussent les Grecs à émigrer, des Juifs autochtones suivent le mouvement en gagnant l’Europe et les Amériques. D’autres adhèrent au sionisme en guise de revendication identitaire face au nationalisme ambiant. D’origine sépharade ou byzantine, venus de Grèce, ces Juifs expatriés se perçoivent et sont perçus comme grecs, situation qu’ils n’avaient pas connue en Grèce même, où c’est le christianisme orthodoxe qui définit traditionnellement l’identité nationale. C’est finalement hors des frontières de leur pays d’origine qu’ils accèdent à cette « nationalité ». Il en sera de même en Israël plus tard pour ceux qui y émigreront. C’est dans des pages d’une grande rigueur, mais non moins émouvantes, que l’auteur décrit également la « grécité » de ces Juifs de Grèce à Auschwitz-Birkenau, où la majorité des déportés étaient ashkénazes. Ce livre passionnant suit les méandres de ces groupes Juifs aux destins multiples, montrant combien l’histoire des Juifs est complexe, diverse et difficile à cataloguer.